Acte 3 - Actions Précédentes
Les grandes mobilisations du mouvement
Le mouvement des sans-papiers ne s’est pas construit en un jour. Il est le fruit de décennies de luttes, d’occupations, de grèves et de marches qui ont progressivement fait émerger la question des personnes sans-papiers dans le débat public français. Chaque “acte” de mobilisation s’est appuyé sur les victoires et les enseignements des précédents, créant une dynamique cumulative de plus en plus puissante.
Acte 1 : La marche historique de septembre-octobre 2020
L’Acte 1 de la Marche des Sans-Papiers s’est déroulé en septembre et octobre 2020, dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19 qui avait mis en lumière le rôle essentiel des travailleurs sans-papiers dans les secteurs dits de “première ligne” : nettoyage, aide à domicile, livraison, agriculture. Alors que le pays était confiné, ces travailleurs invisibles continuaient d’assurer le fonctionnement de services vitaux, sans protection ni reconnaissance.
La marche s’est élancée de deux points de départ symboliques : Marseille et Montpellier. Des dizaines de personnes sans-papiers et de soutiens ont parcouru à pied les centaines de kilomètres les séparant de Paris, traversant des villes et villages, sensibilisant les populations locales à leur situation. Cette marche historique est passée notamment par Lyon, où un rassemblement important a été organisé.
L’arrivée à Paris le 17 octobre 2020 a donné lieu à une manifestation rassemblant des milliers de personnes. Cette date n’avait pas été choisie au hasard : le 17 octobre commémore le massacre de manifestants algériens par la police parisienne en 1961, un crime d’État longtemps occulté. En manifestant ce jour-là, le mouvement inscrivait son combat dans la continuité des luttes anticoloniales et antiracistes.
Cette première marche a permis de créer une dynamique nationale et de fédérer une vingtaine de collectifs de sans-papiers (CSP) dans différentes villes : CSP75 à Paris, CSP69 à Lyon, CSP13 à Marseille, et bien d’autres. Ces collectifs, composés et dirigés par des personnes sans-papiers elles-mêmes, sont devenus les piliers du mouvement.
Acte 2 : Grèves massives et occupations (2021-2023)
L’Acte 2 s’est caractérisé par des actions plus radicales et déterminées. À partir de 2021, des grèves de travailleurs sans-papiers se sont multipliées dans toute l’Île-de-France. Plus de quatre mois de grève dans 33 entreprises d’intérim et de nettoyage ont abouti à l’ouverture, sous la pression, d’un processus de régularisation pour 502 travailleurs mobilisés. Ces grèves victorieuses ont démontré la puissance du rapport de force quand les sans-papiers s’organisent collectivement.
Parallèlement aux grèves dans les entreprises, des occupations de bâtiments publics et de locaux administratifs ont été organisées pour exiger des rendez-vous en préfecture et le traitement des dossiers de régularisation. Ces actions de désobéissance civile ont mis en lumière l’absurdité du système : des personnes travaillant depuis des années en France, payant des impôts et cotisant à la sécurité sociale, se voyaient refuser tout titre de séjour pour des raisons purement administratives.
Les collectifs ont également organisé des “permanences sans-papiers” dans plusieurs villes, offrant un espace d’accueil, d’information et d’organisation collective. Ces permanences sont devenues des lieux de vie du mouvement, où se tissent des solidarités concrètes entre personnes concernées et citoyens solidaires.
Durant cette période, le mouvement a également développé une importante activité de formation et de sensibilisation. Des centaines de militant·e·s ont été formé·e·s aux aspects juridiques des procédures de régularisation, aux techniques de mobilisation, à la prise de parole publique. Cette montée en compétence collective a renforcé l’autonomie du mouvement et sa capacité à porter ses revendications.
Acte 3 : Résistance face au durcissement politique (2024)
L’Acte 3, qui s’est déroulé tout au long de l’année 2024, a été marqué par un contexte politique particulièrement hostile. L’adoption de la loi immigration en janvier 2024, considérablement durcie par le Sénat, a constitué un recul majeur pour les droits des personnes étrangères. Cette loi a renforcé les conditions d’accès au titre de séjour, allongé les délais requis et réduit les possibilités de régularisation.
Face à cette offensive législative, le mouvement a multiplié les actions de résistance. Des manifestations ont réuni des dizaines de milliers de personnes dans toute la France : Paris, Marseille, Lyon, Lille, Rennes, Montpellier, Strasbourg et de nombreuses autres villes. La Marche des Solidarités a continué de fédérer près de 300 organisations autour de revendications communes.
L’année 2024 a également vu l’émergence de nouvelles formes d’action. Des “marches des solidarités” locales ont été organisées dans plusieurs villes le 14 décembre, préfigurant la grande mobilisation du 18 décembre. Ces initiatives décentralisées ont permis d’ancrer le mouvement dans les territoires et de multiplier les points de mobilisation.
Malgré le durcissement des politiques gouvernementales, des victoires ont été arrachées. Des régularisations individuelles ont été obtenues grâce à la mobilisation collective et au soutien juridique. Des expulsions ont été empêchées par des actions de solidarité rapides et déterminées. Chaque victoire, aussi modeste soit-elle, renforce la détermination du mouvement et démontre qu’il est possible de faire reculer la machine administrative.
Les défis rencontrés
Le chemin parcouru n’a pas été sans obstacles. Le mouvement a dû faire face à la répression policière, avec des arrestations lors de manifestations, des convocations en préfecture qui se transforment parfois en placements en rétention. La criminalisation de la solidarité a également touché des citoyens qui hébergent ou assistent des personnes sans-papiers.
Le mouvement a également dû surmonter des difficultés internes : coordination entre les différents collectifs dispersés sur le territoire, gestion de la diversité des situations individuelles, tensions parfois entre urgence de la régularisation et construction d’un mouvement sur le long terme. Ces défis ont été affrontés collectivement, renforçant la maturité politique du mouvement.
L’un des obstacles majeurs reste la quasi-paralysie administrative des préfectures en matière de régularisation. Depuis 2024, les régularisations sont pratiquement à l’arrêt, laissant des milliers de personnes dans une attente insupportable. Face à ce blocage, le mouvement a dû inventer de nouvelles formes de pression : occupations de préfectures, actions coup-de-poing, interpellations publiques des responsables politiques.
Les victoires et acquis
Malgré les difficultés, le mouvement a engrangé des victoires significatives. Au-delà des régularisations obtenues, qui changent concrètement la vie de centaines de personnes et de leurs familles, le mouvement a réussi à imposer la question des sans-papiers dans le débat public. Il est désormais impossible de parler d’immigration sans évoquer la situation des personnes déjà présentes sur le territoire français.
Le mouvement a également construit une puissante coalition d’organisations. Des syndicats aux associations de défense des droits humains, des collectifs antiracistes aux réseaux d’hébergement citoyen, ce sont près de 300 structures qui soutiennent activement la Marche des Solidarités. Cette convergence des luttes constitue une force considérable.
Sur le plan de la conscience politique, le mouvement a contribué à déconstruire les préjugés sur les personnes migrantes. En mettant en avant les travailleurs sans-papiers, en donnant la parole aux personnes concernées, en montrant leur contribution à la société française, le mouvement a combattu efficacement les discours xénophobes et sécuritaires.
Le mouvement a également gagné en autonomie et en organisation. Les collectifs de sans-papiers fonctionnent désormais de manière largement auto-gérée, avec leurs propres porte-paroles, leurs propres stratégies d’action, leur propre culture militante. Cette autonomisation est un gage de pérennité et d’efficacité.
Vers l’Acte 4 : le 18 décembre 2025
Les Actes précédents ont préparé le terrain pour la grande mobilisation du 18 décembre 2025. Choisi en référence à la Journée Internationale des Migrants, proclamée par l’ONU, ce rendez-vous national marque un nouveau palier dans l’escalade des mobilisations.
L’Acte 4 se distingue par son ampleur géographique : plus de vingt villes mobilisées simultanément, des dizaines de milliers de personnes attendues dans les rues. Il se distingue aussi par la clarté de ses revendications : régularisation de tous les sans-papiers, sans condition restrictive, liberté de circulation et d’installation, égalité des droits pour toutes et tous.
Cette mobilisation intervient à un moment charnière. Après des mois de quasi-gel des régularisations, après l’adoption d’une loi immigration régressive, face à un discours gouvernemental de plus en plus fermé, le mouvement affirme qu’il ne lâchera rien. Les personnes sans-papiers sont là, elles font partie de la société française, elles ont des droits et elles les feront respecter.
Le 18 décembre 2025 sera une journée de résistance et d’espoir. Résistance face aux politiques d’exclusion et de répression. Espoir d’une société plus juste, plus solidaire, où chacun·e puisse vivre dignement quelle que soit son origine ou sa situation administrative. Des milliers de voix s’élèveront ce jour-là pour dire : Régularisation de tous les sans-papiers !